Chez Paul – Violons du bocage n°1

Chez Paul – Violons du bocage n°1

Paul Micheneau

Vinyle 33T

Union Poitou Charente pour la Culture Populaire

UPCOOP Geste Paysanne  – N° 11

1977

Avec Paul MICHENEAU, jouaient les musiciens de l’ARCUP.
Au violon : Pascal GUERIN, Jean-Raymond ARNAULT, Jany ROUGER
A l’accordéon diatonique : Christian COUTON, Christophe FUZEAU, François-Jean ROUSSELOT
A la flûte sopranino et au hautbois : Bernard ARNAULT
A la flûte ténor et clarinette : Francine DAMY
A la flûte ténor : Violaine GUERIN.

Enregistrement : Jean-Pierre BAUDOUIN, Claude GUERIN
Maquette réalisée à l’aide de photos ARCUP
Effets spéciaux de la couverture : Jean-Michel LANDRY


Paul Micheneau…
Un paysan taillé dans le granit sur lequel il vit. Point de gestes ni de paroles inutiles. La sagesse taciturne de vingt siècles de travail de la terre. Des doigts larges comme mon pouce. Le violon à l’air ridicule entre ces mains terreuses. Mais quelle surprise quand l’archet se met à danser sur les cordes !
Souvenons-nous, les apprentis : « T’as, pas la cadence ! » Quelle cadence ? Le rythme d’avant-deux, archaïques, de valses qui ressemblent à des bourrées, mais aussi le battement de la grande pendule un peu gênée devant la tapisserie rutilante ; la cadence d’un autre temps, le temps où il y avait un temps pour tout, et surtout celui de le prendre…
Et oui, Paul, notre temps « n’a plus la cadence » ! Essayons de la retrouver à l’écoute des musiciens de l’autre temps.


Ce disque est le premier d’une série qui sera consacrée aux musiciens traditionnels encore vivants en Bocage, qui se trouvent être pour la plupart joueurs de violon. Avec ces témoins précieux, derniers maillons d’une chaîne millénaire, va s’éteindre une culture que les institutions officielles ont toujours niée, sinon méprisée.

Il n’est que temps d’en entreprendre, partout où cela est encore possible, le collectage méthodique. Ces voix millénaires étaient l’héritage de siècles d’art populaire, la richesse d’une nation, autant que celles de Molière ou de Berlioz. Dans quelques années, probablement pensera-t-on que les avoir laissées dans le silence tut un des plus grands crimes de notre « Civilisation ».

 

Paul Micheneau

Paul Micheneau est né le 26 Janvier 1904 de Jacques Micheneau et de Mélina Fradin, couple protestant tenant une ferme à la Falourdière de St-Jouin de Milly. Il « fit ses écoles » à la Cournolière de Moncoutant puis au début de la guerre partit rejoindre ses parents installés depuis aux Racaudières des Moustiers-sous-Chantemerle (1). Fils de cultivateur, il sera cultivateur toute sa vie.

Vers l’âge de 17 ans, le contact avec le célèbre « Bourdounau » (2) lui donne l’envie de jouer du violon. Il prendra ensuite des leçons avec M. Gilbert et commencera ses premières noces avec lui, bien que le « pasteur » (chef du culte de l’Eglise réformée) ne voit pas d’un très bon œil un membre de son troupeau se débaucher ainsi (3). Il animera plusieurs centaines de noces, veillées ou assemblées jusqu’à son mariage avec Aline Baudu, en 1927. Comme la plupart des musiciens de village, il ralentira alors son activité musicale pour finalement ranger son violon sur une armoire. En 1929, le jeune couple s’installe à la Gaconnière de St-Jouin. En 1931, la ferme des Places de Moncoutant étant libre, il loue les terres et la maison, où il demeure encore. Le violon, ressorti une fois en passant « pour faire plaisir aux gosses », commence à se couvrir de poussières. Mais un beau jour, en 1962, passe un jeune professeur marié récemment à une nièce d’Aline, André Pacher, alors en pleine découverte de ce qu’on appelait le folklore.

André Pacher, depuis devenu Président-fondateur de l’UPCP, saura faire rejouer le violon et encourager les jeunes du pays à se mettre à l’école des anciens : c’est ainsi que, depuis 1970, nous, jeunes musiciens de l’ARCUP, sommes devenus les apprentis de Paul ; patiemment, il nous apprendra le secret du « coup d’archet » et la « cadence ». Le résultat de ce travail, le voici : ce disque, contenant des témoignages bruts, mais aussi le fruit d’un amour commun des mélodies paysannes, de la musique de notre pays.

(1) Les terres protestantes étaient pour la plupart aux mains de 4 ou 5 grands bourgeois, qui déplaçaient leurs fermiers suivant les naissances, les départs ou… leur fantaisie.
(2) Ce surnom donné à Maximin Billaud, le plus fameux violoneux de la région au début du siècle, était en fait l’apanage de nombreux « sonneurs » de violon : car ils faisaient bourdonner leurs cordes ; ils étaient donc des « Bourdounau ».
(3) Car la pratique de la danse et de la musique était considérée à l’époque comme bestiale et presque diabolique, autant par le Clergé protestant que par le Clergé catholique.


Face A

  1. « Avant-Deux à Bourdounau » (4 violons) Un des airs les plus difficiles à jouer à cause du rythme que lui donne Paul, « cadence » qui se moule étroitement à sa manière, très coulée, de danser l’Avant-deux. La forme de danse choisie est l’Avant-deux dite « à Bathiulai », c’est-à-dire comprenant une 4e figure, le Rassembler, en plus des 3 figures habituellement dansées à Moncoutant ; cette forme à 4 figures était dansée plus au Nord (Courlay, St-Marsault, St-Mesmin).
    En ce qui concerne la façon de jouer cet air au violon, elle semblait très codifiée (comme tous les airs joués par Paul).
    – 1er thème : un coup d’archet par note.
    – 2e thème : parfois 2 notes dans le même coup d’archet pour « relever le pas » ; faire sauter son archet pour donner ce rythme.
    – 3e thème (Balancer) : ici, mouvement régulier de l’archet (un coup d’archet par temps : donc 3 notes par coup). Paul dit « faire rouler son archet ». Ce qui se justifie par le pas uniforme du « Balancer ».
    – 4e thème (Rassemblez) : intermédiaire entre le roulement et un coup par note.
  2. Polka à Bourdounau (violons, accordéons diatoniques et flûtes)
    Paul connut bien Bourdounau qui, ainsi qu’il l’explique, venait souvent coucher aux Racaudières des Moustiers. C’est ainsi que Paul apprit nombre de ses airs, comme cette Polka et la Valse qui suit.
    Le coup d’archet est particulièrement intéressant, car au début, il faut jouer 2 temps dans le même coup d’archet.
  3. Valse à Bourdounau (violons)
    Bourdounau aurait appris cette valse au Régiment dans le Nord de la France.
    Le coup d’archet de la valse est peut-être le plus facile à exécuter, de par sa régularité : le temps fort en descendant l’archet, les deux autres temps en remontant.
  4. Scottish à Gilbert (violons, accordéons)
    « Léande » Gilbert, musicien à la Chapelle St-Etienne, donna donc des leçons à plusieurs apprentis dans les années 20 ; cette scottish au thème riche est assez difficile à bien jouer : il faut placer plusieurs notes dans le même coup d’archet pour donner l’impulsion caractéristique de la danse.
  5. Valse des Places (violons, accordéons, flûte, clarinette)
    Les valses traditionnelles étaient en général construites de cette manière :
    – un thème mélodique comprenant à peu près une note par temps (un coup d’archet en bas, deux en remontant)
    – un thème rythmique, plus pauvre au point de vue mélodique (jouant sur deux accords simples) comprenant plus de notes (5 notes dans le même coup).
  6. Le premier air que l’on apprenait aux jeunes apprentis était un refrain de noces : « Ton beau temps, ma jolie brune / Ton beau temps s’en va… »
  7. La première polka (violons, accordéons, clarinette)
    Paul raconte qu’une de ses premières veillées en tant que musicien eut lieu au Tyran de Montigny (village natal d’Ernest Pérochon). Il ne connaissait que trois airs, dont cette polka : « Y te garantis qu’y l’ai jouée bé dau foués dans la veillée ! ».
  8. Air pour imiter le cor de chasse. Mettre un verre sur le violon. Le remplir de bon vin. Boire le vin en jouant. Essayez !
  9. Mazurka de Coulonges (violons, accordéons, flûtes)
    Paul tient cet air de deux musiciens de Coulonges/l’Autize (piston et basse). Bien sûr, ces musiciens ne lui avaient pas écrit sur une partition. L’ayant entendu une fois, comme tout bon musicien routinier, il l’a retenu pour le jouer lui-même.
    Ainsi se transmettaient (et se transformaient, s’enrichissaient suivant le talent des musiciens) la plupart des mélodies traditionnelles.

Face B

  1. Mazurka à Bourdounau (violons, accordéons)
    Cette très belle mélodie fut probablement composée par Bourdounau lui-même (et non pas héritée de plus anciens). Elle comprend deux thèmes mélodiques et un thème plus rythmique (un coup d’archet par note).
  2. Air de mariage. Variante de la célèbre Chanson à la mariée.
    Paul ne se souvient que d’un couplet : « Vous n’irez plus au bal Madame la mariée… »
  3. Scottish de Coulonges (violons, accordéons, hautbois de Poitou)
    Apprise des musiciens cités précédemment. Coup d’archet : très régulier ou un coup par note ; mais toujours se retrouver à marquer le temps fort en descendant.
  4. Autre refrain de noces. « Allons, belle en ménage Allons joyeusement » (très répandu dans tout le Bocage)
  5. Avant-deux de Moncoutant (violons, hautbois, cromornes)
    Cet air, très commun, a ici un rythme très dansant, (deux coups en descendant au départ) moulé au pas d’avant-deux de Moncoutant.
  6. Histoires de Têtard, ancien lieutenant de pompiers de MONCOUTANT. René Têtard, décédé il y a quelques années, était un des plus célèbres « menteurs » de la commune ; c’est-à-dire dépositaire d’histoires de mensonges (sur la chasse, la pêche, la vie quotidienne)… présentes dans toutes les traditions orales paysannes. Paul se souvient de quelques-uns de ces mensonges.
  7. Valse « Grand-mère » (violons, épinette, accordéons, flûtes)
    Très belle valse qui était traditionnellement jouée à deux violons : l’un faisait la mélodie, l’autre l’accompagnement (deux coups en remontant sur le La, un coup en bas sur le Ré).
  8. Polka « gavottée » (violons, accordéons, flûte, clarinette)
    Cette polka était autrefois « gavottée » dans les veillées (c’est-à-dire chantée). Ainsi menait-on les danses (« à la goule ») en l’absence de musiciens.
  9. Valse à Paul (violons, accordéons, hautbois)
    Sur le très beau premier thème traditionnel de sa composition Paul greffa un deuxième thème de sa composition.
  10. Avant-deux à Tonton Gust (violons, flûtes)
    Tonton Gust était un violoneux de la famille. Thème très riche, aux nombreuses notes rapprochant cet avant-deux d’un pas d’été. Coup d’archet régulier (1 coup par temps) sur le 1er thème.
  11. Polka « Taptapin » (violons, accordéons, flûtes)
    Paroles fréquentes très grivoises. Rythme très enlevé donné par le coup d’archet.

ARCUP

Animation Rurale et Culture Populaire en Bocage, membre de l’UPCP, s’est donné pour but de sauver et de promouvoir tout ce qui a constitué la vie culturelle d’une région aujourd’hui condamnée à imiter les produits d’une Civilisation occidentale étouffant toute Culture Populaire.

Que ce disque, premier d’une série consacrée aux vieux musiciens du Bocage, soit un hommage rendu au premier des violoneux paysans avec qui nous avons découvert la grande richesse d’une musique trop souvent oubliée et qu’il soit remercié d’avoir voulu nous initier patiemment à son art.