Chez Alfred – Violons du bocage n°3

Chez Alfred – Violons du bocage n°3

Alfred Talon

Vinyle 33T

ARCUP / UPCP / La Geste Paysanne

Geste Paysanne n°47

1984

Imprimerie Typo Offset Jadault et fils Courlay


Alfred Talon… S’il est un musicien qui a marqué les noces du Bocage bressuirais, c’est bien celui-ci ; l’un des premiers à se doter de tous les outils nécessaires à un fonctionnement professionnel (accordéon chromatique remplaçant le violon, percussions, parquets), il réalise en son époque l’alliance de la plus grande modernité et d’une tradition séculaire : modernité des oripeaux du métier, tradition du violoneux routinier nourri de « gavottes » et de danses archaïques. Car Alfred est d’abord un fantastique danseur : qui ne l’a vu danser une « avant-deux » ne peut imaginer cette prodigieuse faculté du corps à se fondre totalement dans la musique qui l’anime. Les bons danseurs font les bons musiciens, dit-on. Et plus encore des personnages attachants. Car celui-là est un personnage, au noble sens. Sous la modestie et la pudeur, se cache une grande sagesse, fruit d’une vie peu tranquille au regard des uns, mais si pleine ! Qui ne voudrait vivre si intensément ?

Interviews pages intérieures et disque : Pascal Guérin
Arrangements musiques : Jany Rouger
Photos : documents personnels Alfred, prises de vue Jean-Louis Neveu
Pochette : Pascal Guérin. Jean-Michel Landry. Jean-Louis Neveu
Enregistrement, mixage : Jean-Pierre Baudouin
Enregistrements effectués à La Marandière de Montravers et chez Alfred Talon à Bressuire entre novembre 1982 et janvier 1984.


Face 1

  1. « Mon père m’y marie ».
    chanson apprise de son père.
  2. Ses débuts en musique.
  3. « La gueneille à Pierrot ».
    air d’avant-deux pour débutant.
  4. Les débuts avec Baptiste Girard,
    ancien violoneux de noces de La Forêt-sur-Sèvre.
  5. Avant-deux à Baptiste Girard.
    (cf. viol. du Bocage n° 1 « Chez Paul ») UPCOOP n°11.
  6. Les premières noces.
  7. « La polka oui c’est ça ».
    avec les musiciens de l’ARCUP.
  8. La polka piquée.
    avec les musiciens de l’ARCUP.
  9. Sa vie de musicien et de domestique de ferme.
  10. Refrain à « roder » les bœufs :
    pour encourager les bêtes au travail, on « rodait », c’est à dire qu’on faisait des vocalises en improvisant souvent un air et en nommant les bœufs. Alfred ne l’a jamais pratiqué, mais il l’a entendu faire.
  11. Le déroulement d’une noce ;
    le rôle du musicien.
  12. Avant-deux de Courlay.
    très répandue dans le Bocage avec plusieurs variantes.
    Accompagnement ARCUP.
    (cf. Exp. Pop. en Bocage). UPCOOP n° 2.
  13. La noce.
  14. « A la première auberge… »
    refrain de noces qui se chantait après le premier repas, lorsqu’on sortait « prendre l’air »…
  15. L’enterrement de la barrique.
  16. Avant-deux de Menomblet (85)
    (cf. Exp. Pop. en Bocage : « avant-deux à Baptiste… »)
  17. « Roul’ ta bosse ».
    avant-deux, accompagnement musiciens ARCUP.
  18. La guimbarde.
    dansée traditionnellement avec des aiguillons, accompagnement musiciens ARCUP.

Face 2

  1. « Mardi-gras ».
    refrain très connu dans le Bocage.
    « tourticias » : sorte de beignets, traditionnels au Mardi-gras.
  2. Le Mardi-gras et la fête de « Jouctard »,
    village de Courlay.
  3. Autrichienne.
    scottish – musiciens ARCUP.
  4. Italienne.
    scottish – musiciens ARCUP.
  5. « Jouctard ».
    les premiers parquets.
  6. Scottish.
    accordéon chromatique : (qui a remplacé le violon dans les années trente) Alfred.
  7. Reprise scottish.
    musiciens ARCUP.
  8. Chanson de « La Chèvre ».
  9. Les foires de Bressuire.
  10. Paskovia.
    reprise avec musiciens ARCUP.
  11. « Zigomar ».
    musicien relativement célèbre à l’époque et connu sous ce sobriquet.
  12. « Le lézard ».
    scottish reprise avec musiciens ARCUP.
  13. « Bourdounau ».
    viol. du Bocage n° 1 -Chez Paul UPCOOP 11.
  14. « Quand je vois porter des lunettes ».
    mazurka – musiciens ARCUP.
  15. « Bourdounau ».
    témoignage sur certaines de ses pratiques musicales…
  16. Valse « tu me disais...
  17. Polka « des bébés ».
    musiciens ARCUP.
    (cf. viol. du Bocage n°2 « Chez Maximin ») UPCOOP n° 20.
  18. Le jeu de « routine ».
    témoignage du routinier éprouvant un « complexe » devant les musiciens pratiquant le solfège. Le sentiment explique en partie la décision d’Alfred de connaître un minimum de solfège pour apprendre l’accordéon par la suite.
  19. « La fille de la meunière ».
    air très répandu. Connu sous les noms de « gigouillette », « zigouillette » ou « polka tabouret », car les danseurs doivent faire sauter leurs cavalières par-dessus un tabouret.
    reprise avec musiciens ARCUP.
  20. La gueneille à Pierrot.
    musiciens ARCUP.

Mon père m’y marie…

Mon père m’y marie
Avec ine avocat
Avec ine avocat
Dès l’perrnè soir dos noces
Avec ma il coucha

refrain

Ah ! ma mère, ma pauvre mère
Ah ! ma mère le m’y tuera

Dès l’permè soir dos noces
Avec ma il coucha
(bis)
L’tirait la couverture
Et ma j’tirais les draps

(ref.)

L’tirait la couverture
Et ma j’tirais les draps
(bis)
J’appeli la servante
Jeanne venez don là

(ref.)

J’appeli la servante
Jeanne venez don là
(bis)
Allez dire à ma mère
Que je suis au trépas

(ref.)

Allez dire à ma mère
Que je suis au trépas
(bis)
La vieille la pauvre vieille
S’ammène à petits pas

(ref.)

La vieille la pauvre vieille
S’ammène à petits pas
(bis)
Ne pleure pas ma fille
On n’en meure pas pour çà

(ref.)

Ne pleure pas ma fille
On n’en meure pas pour çà
(bis)
Et puis si tu en meures
En terre on t’y port’ra

(ref.)

Et puis si tu en meures
En terre on t’y port’ra
(bis)
On f’ra mett’ sur ta tombe
Sur ta tombe on mett’ra

(ref.)

On f’ra mett’ sur ta tombe
Sur ta tombe on mett’ra
(bis)
C’est une jeune fille qu’est morte
Qu’est morte en les combats

(ref.)

C’est une jeune fille qu’est morte
Qu’est morte en faisant çà
(bis)
En faisant sa prière
Au grand St Nicolas
(ref.)


La Chèvre

Chez nous i’avions t’une chèvre
Qu’allait tous les jours aux champs
Qu’allait tous les jours aux champs
A rentri dans ljardreigne à Jacques
A fit d’l’aga énormément

refrain

A ba ba ba babinottait de la goule          |
A gring’ gringuenassail dos dents
| bis

A rentri dans ljardreigne à Jacques
A fit d’l’aga énormément
(bis)
A l’a mangé un chouc à poumme
Qui valait ben cent francs

(ref.)

Elle a mangé un chouc à poumme
Qui valait ben cent francs
(bis)
Et puis un brin de poraïe
Qui en valait ben autant

(ref.)

Jacques fit assigner la chèvre
Qui la rendit-au parlement
(bis)
l’invita
La chèvre fut pas si bête
Elle se rendit au parlement

(ref.)

Et la chèvre fut pas si bête
Elle se rendit au parlement
(bis)
Elle a chié pu d’deux cents belles crottes
Pour tous tié gens qui m’écoutant

(ref.)

Elle a chié pu d’deux cents belles crottes
Pour tous lié gens qui m’écoutant
(bis)
Elle a gardé les dix plus belles
Pour Monsieur le Président

(ref.)


Alfred Talon

Alfred Talon est né le 13 Mars 1908 à la Pardière de St Marsault, dans les Deux-Sèvres. Il n’a encore que dix-huit mois lorsque ses parents s’installent à la Chauvelière, ferme de la même commune, proche d’une ferme voisine, la Boitardière, où il se fera un ami, Albert Girardeau, trois ans plus jeune et lui aussi futur violoneux.

Alfred a appris à danser et chanter très jeune ; aux environs de quatre, cinq ans, ses sœurs aînées lui apprenaient déjà des danses, des chansons, qu’elles entendaient elles-mêmes aux veillées ou aux noces, moments privilégiés où l’on se rencontrait entre amis ou en famille.

Ce n’est qu’à dix-huit ans – et son voisin Albert Girardeau n’a alors que quinze ans – qu’il achète son premier violon.

Les débuts au violon se passent aussi « en famille » : l’on essaie de reproduire à l’oreille les airs chantés et « gavottés » par les anciens, en particulier par le père d’Albert Girardeau, chez lequel Alfred se rendait deux fois par semaine pendant l’hiver.

« Ah oui, c’était… c’était son père oui qui gavottait quoi… Pas’que tout l’hiver j’allais… deux fois par semaine chez lui… pas’qu’on avait sept – huit cents mètres à traverser, deux grands prés quoi… ah pis j’étais chez eux, j’étais comme chez moi… ‘tais… ‘tais l’deuxième fils quoi… pis alors i… j’tâchais… j’attrapais quand même euh… aussi vite que lui si tu veux aller par là… alors on apprenait une un soir et pis un aut’soir on apprenait aut’chose et pis… pis l’allait s’coucher après… »

Le père d’Alfred était également un excellent chanteur :

«Ah bé mon défunt père lui, sais-tu qu’il a, i’s’est marié à trente ans, eh ben il a fait dans les soixante à soixante-dix noces… qu’il était invité pour chanter… vieux garçon quoi, comme vieux garçon si tu veux, i s’est marié qu’à trente ans quoi… »

Alfred a également été en contact à cette époque avec Baptiste Girard, ancien violoneux de noces à la Forêt-sur-Sèvre, commune voisine, et avec lequel il a appris quelques airs de danses. (cf. photos)

Très vite, Alfred et son ami « Abbé » (surnom d’Albert) se sont mis à faire danser au cours de petits rassemblements avec les autres jeunes de la commune, surtout l’hiver et au Mardi-Gras, en petits groupes, ce qui ne plaisait pas tellement aux « autorités religieuses » de la commune qui voyaient ces rassemblements comme un début de « débauche » dans la jeunesse :

« On allait tous à la messe, et un beau jour M’sieur l’Curé s’est fâché en chaire jusqu’à dire que les sales violons d’St-Marsault mettent le désordre dans les communes voisines…

… Et forcément quand Pâques est arrivé, on avait tous l’habitude de faire nos Pâques, j’me présente à la communion le Dimanche de Pâques le matin, mais Monsieur l’Curé avec le… l’Enfant d’Chœur et Monsieur l’Curé qui passaient le plat devant à la Sainte Table et bé au moment d’arriver à moi, Monsieur l’Curé retire le plat pour le passer au voisin. Alors tout ça, ça a fait un drôle d’effet dans la commune et moi ça m’a à peu près complètement chassé de… et pis j’ose pas vous dire le reste mais on n’est pas vraiment copains, on n’était pas vraiment copains… »

Fait remarquable, à l’occasion de l’anniversaire de ses 50 ans de mariage en 1983, Alfred a été « réhabilité » au sein de l’Eglise à Bressuire, où il réside depuis 1951 !

Ainsi, après un an d’apprentissage au violon, sans avoir l’idée de faire le métier de musicien, Alfred et son ami « Abbé » font leurs premières noces ensemble, au violon :

« A St-Marsault oui là. Oui c’était à St-Marsault. Alors on connaissait p’t’être deux javas, heu… deux polkas pis deux valses et pis, i’voulait absolument qu’on aille jouer quoi… mais y’avait un an qu’on avait les instruments… les violons oui, alors on n’était pas très forts quoi… pis ça marchait pareil, pourvu qu’i’ait d’la cadence pour danser, y’a pas besoin d’musique c’est p’utôt la cadence quoi… »

«… Ah oui, j’tenais tout à mon compte. J’ai fait longtemps toutes les assemblées à mon compte, tout… c’était pas un p’tit bazar hun pas’que fallait aller, la… régie, les droits d’auteurs, faut dire d’avance où qu’tu vas tout l’mois… pour tout l’mois fallait êt’ fixé, maint’nant j’sais pas si ça continue comme ça, mais jusqu’à c’que Verchuren commence à descendre dans l’coin là… moi c’était malgré tout assez facile, pas’que, j’avais toutes mes assemblées, j’en avais pour tous les dimanches sauf l’hiver… pis l’hiver les conscrits des alentours v’naient m’trouver :  »quand c’est-i’ qu’tu fais not’bal ? » lors c’est moi qui m’nait la barque dans toute la contrée d’la quoi… ah oui oui, j’tais l’chef à bord. De tout, pis d’faire monter les parquets, pis d’les monter moi-même pis après… après j’étais v’nu marchand d’bière pas’que… euh y’avait l’évolution un p’ti’t peu, j’sentais que nos musiciens, à deux comme ça deux ou trois ça manquait, alors j’prenais des orchestres après. Alors là, j’roulais les parquets, pis je les faisais monter pas’que j’avais pu l’temps là… pis démonter, pis j’m’occupais de tout… ma femme venait à des fois j’avais deux bals le même jour, jusqu’à trois bals le même jour qu’j’ai eu… mettre des responsables à un, ma femme à un autre pis moi à un autre, alors la nuit fallait courir partout quand c’était fini pour rassembler tout ça… l’lendemain, la régie, les droits d’auteurs, rouler la bière et tout…

C’est vers les années 1970-72, que les animateurs de l’ARCUP et de l’UPCP ont rencontré Alfred, qui s’est révélé être un danseur encore exceptionnel pendant les veillées organisées au cours des premiers stages de recherches des traditions orales paysannes dans le Bocage. (Ce talent de danseur semble être un don familial puisqu’il revit à travers sa petite fille Céline, en 6e année à l’Opéra de Paris). A la suite de ces rencontres et plus tard au cours des Nuits de la Saint-Jean à la Marandière de Montravers, rassemblements des vieux musiciens du Bocage, Alfred est allé encore plus loin dans ce « retour aux sources » en ressortant le violon qu’il n’avait plus touché depuis des dizaines d’années ; et comme si cela n’était encore pas assez pour satisfaire cette envie de jouer, il s’est remis à animer des cortèges pour les « noces d’or » d’un ami, pour un mariage proche dans sa famille, à animer des fêtes de « club de troisième âge », fêtes communales, associatives, etc… à l’égal de nombreux autres vieux musiciens routiniers du Bocage.

Alfred laisse le violon de côté environ un ou deux ans après son mariage, achète un accordéon et une grosse caisse, le « jazz » comme on disait à l’époque pour désigner la percussion.

« Ah oui, ça (le violon) j’ai joué qu’avec « Abbé » presque, et puis après êt’ marié, j’ai joué deux trois ans d’ça, pis après j’ai acheté l’accordéon, pis j’faisais les bals avec Marquet… Marquet d’Cerizay, qu’est mort pauv’ vieux… alors on a commencé avec Marquet moi j’avais le… j’avais acheté la grosse caisse, pis j’avais coupé un vieil archet en deux, pis ça faisait des baguettes, pis c’est tout c’que j’avais pour jouer… j’faisais la batterie oui, ah bé la batterie j’en ai fait pas mal après avec Chauveau d’Cholet qui… not’ professeur si tu veux d’accordéon, j’ai été l’voir cinq six fois quoi pour voir comment qu’i fallait mett’ les doigts… i jouait d’routine Marquet, alors il a voulu s’perfectionner en accordéon alors j’allais le m’ner là-bas pec’qué j’avais une moto, oui une grosse moto, une quat’ chevaux là, pis j’allais l’mener à Cholet, pis nous apprenait la façon de mett’ les doigts, de poser la main sur l’accordéon pis nous a appris un p’tit peu sur les basses, où c’est qu’ça s’tenait quoi, mais j’en ai autant appris qu’l’aut’, pis après j’ai acheté l’accordéon tout d’suite après moi.

… Pis aux noces, bé j’trainais les deux… ‘lors fallait m’voir partir… Tout d’suite après la guerre bé… y’avait pas d’essence, le violon su’l’dos, la grosse caisse sur une planche à côté du vélo, et puis l’accordéon sur un porte-bagages sur le vélo… pis allez ! en route… Ah j’me souviens, mais une fois j’ai pleuré sur la route, j’avais fait un bal le dimanche, le lundi Pouzauges en vélo, euh Pouzauges i’m’ont t’nu jusqu’à six ou sept heures du matin, parti à Thouars… faire une noce à Thouars en vélo, j’ai arrivé là-bas, ‘tait dix heures et demie onze heures, à Thouars, j’étais crevé, enfin là, ‘taient gentils, là-bas pas’que, pendant le repas, m’ont pas embêté pour chanter, j’ai dormi un peu pendant l’repas quoi… j’ai joué toute la nuit pas’que là-bas ça… i’ sont jamais pressés mais ça finit jamais non plus à Thouars… pis l’lendemain à Breuil-Bernard en vélo… pis i’ pleuvait à plein temps pis j’ai pleuré… pis j’ai juré que fallait êt’ fou pour faire un métier pareil… ça commençait à traverser, l’accordéon buvait déjà d’la flotte un peu, pis en arrivant au Breuil-Bernard : « t’as pas pensé à t’lever Alfred !… » j’étais, j’ai arrivé à dix heures et demie au lieu d’dix heures à la sortie de la messe, j’avais pas été les chercher dans la ferme forcément, oui eh ben, m’en souviendrai m’enfin, j’suis d’bout encore… »

Alfred est également à l’origine de plusieurs assemblées annuelles qui avaient lieu à Moncoutant (la Touche, la Javrelière, la Burelière) à St-Marsault, à la Forêt-sur-Sèvre, à « Jouqu’tard » de Courlay, et il jouait alors avec trois ou quatre musiciens, différents suivant les occasions, (accordéon, cuivres, percussions) puis a animé d’innombrables bals dans la région lorsqu’il s’est fait faire un premier parquet puis un deuxième par la suite.

En 1951, le couple s’installe à Bressuire, comme marchands de boissons gazeuses ; deux ans plus tard, sur les conseils d’un médecin spécialiste, (« – Si vous continuez, c’est le cimetière… ») Alfred arrête complètement la musique mais continue à louer ses parquets ou à prendre des orchestres. Vers 1960, il vend ses parquets au fils d’un ancien musicien de noces et de bals. Albert Coutant de Clessé.

Il est important de noter que pour une noce à cette époque, le(s) musicien(s) devai(en)t assister à tout le déroulement depuis le matin (mairie – église – lieu du repas – bal), chanter également pour animer les deux repas et reprendre le bal jusqu’au lendemain matin ! et on ne considérait pas cette activité comme un métier… En effet, un musicien de noce avait toujours un métier ou au moins une autre activité pour vivre. Alfred lui était encore à la ferme chez ses parents jusqu’à son mariage avec Suzanne Pineau de Courlay en 1933.

« J’me souviens j’ai fait quand même une vingtaine de noces p’t-être avant l’régiment, j’suis parti à vingt ans quoi. Et pis sans m’occuper d’continuer l’violon, j’ai déjà reçu des lettres au bout d’un an, on faisait dix-huit mois à c’moment-là, de m’apprêter pour faire des noces à untel et à untel de r’commencer à faire des mariages, faire des noces. Alors aussitôt arrivé du régiment, l’a fallu refaire des mariages et puis le collègue aussi, on en faisait même à nous deux au début, on prenait moins cher, et pis on faisait des noces à nous deux. Et pis ça continuait, ça continuait, ça continuait, après ça j’me suis lancé dans les bals avec l’accordéon et puis, et puis des collègues on faisait des p’tits bals à deux, des p’tits bals à trois après pis ça j’en ai fait un métier, maintenant le violon était laissé de côté… »

Contrairement aux nombreux autres musiciens routiniers, qui faisaient les noces dans le bocage, Alfred n’a pas cessé cette activité après son mariage, le 10 octobre 1933. C’est même à partir de cette date, après s’être installé chez ses beaux-parents au café-épicerie à « Jouctard », lieu-dit actuellement nommé Bois-Neuf de Courlay, que la musique (bals, noces, assemblées) devient pour lui un véritable métier, en plus de son activité de domestique de ferme.

La carte de son « rayonnement » donne une idée sur l’ampleur de son secteur de noces (de 1927 à 1952).

Mme Talon : « …Oui, alors là, bé c’est que c’est Jouctard, c’est commencé par la maison en bois de chez Fradin… Fradin avait construit une maison en bois, il était charron lui, Fradin, et dans cette maison is’z’avaient un café, alors donc c’est parti d’là, le café i’s se couchaient très tard, i’s passaient la nuit dans l’café ce qui faisait là… Bois Neuf, Bois Neuf la maison en bois et Jouqu’-tard parce qu’i’s s’couchaient tard. Voilà pourquoi ça s’app’lait Jouctard… c’est ça, nous quand on y habitait c’était la Croix d’la Chaltière… »

« Baraque en bois, baraque damnie, baraque do diable… » disait de Jouctard Jules Popot, un des nombreux « vagabonds » ou « coureurs de barges » qui sillonnaient les routes du Bocage encore dans cette 1re moitié du XXe siècle.

« Bé oui parce que lui, il allait que boire et manger chez les gens lui heu… Jules Popot. C’est lui qui d’mandait un bout d’pain, pis du fromage, alors il lui restait du fromage, il lui fallait d’aut’ pain, après il lui restait du pain, il lui fallait du fromage et… et ça continuait, alors les gens bon bé i’s s’en fatiguaient quoi… i’s voulaient pas l’recevoir… »