En souvenir et en hommage à tous ces gens que nous ne connaissions pas et qui nous ont donné le meilleur et le plus profond d’eux-mêmes. Nous leur devons des moments irremplaçables.
Collectes des documents sonores et iconographiques : Pour les cantons de
- Moncontour et Thénezay : Association « Les Gens de Cherves » ;
- Lusignan : Jean Doucet ;
- Chauvigny : Alain Ribardière et l’Association « Les Chantegrioux » ;
- Lussac-les-Châteaux : Alain Ribardière ;
- Civray : J.J Chevrier/Alain Ribardière ;
- St-Savin : Robert et Françoise Marzac.
Musique traditionnelle du Haut Poitou
La somme des informations recueillies ces quinze dernières années en Poitou dans les différents domaines de la tradition populaire a révélé un terrain d’enquête hétérogène.
La combinaison de facteurs divers (géographiques, historiques, socio-économiques…) a pu permettre la survie de manifestations encore courantes au début du siècle dans certains endroits, alors qu’elles sont devenues archaïques dans d’autres. (Par exemple : les danses en chaines, presque exclusivement employées jusqu’en 1920 à Noirmoutier mais reléguées à la tradition enfantine sous une forme dégradée dans le reste de la Vendée).
Aussi, aurait-il été illusoire de vouloir présenter l’ensemble de l’ancienne province en un album ; nous avons préféré nous en tenir, pour ce premier volume, au seul Haut-Poitou (approximativement l’actuel département de la Vienne) réservant le Bas-Poitou (Deux-Sèvres, Vendée) à une prochaine publication.
Quant à ce Haut-Poitou, nous nous sommes attachés à une représentation géographique aussi complète que possible, associant dans la publication des personnes ou des associations ayant œuvré elles-mêmes dans leur propre région.
Qu’en est-il donc de la tradition musicale et chantée, ou plutôt, que nous en reste-t-il ?
Il faut d’abord considérer les limites à l’intérieur desquelles nous nous situons, elles sont essentiellement de trois ordres :
1) Les témoignages que nous avons recueillis sont pour la plupart à la limite du savoir oral et du savoir écrit, donc, assez peu représentatifs de l’ancienne tradition. Cependant, nos informateurs ont eu loisir avant 1914-1920 dans leur « jeunesse », d’utiliser leur bagage oral dans leur vie quotidienne.
2) Les témoins privilégiés, interrogés ces dernières années, n’étaient plus depuis longtemps « en situation », même si un regain d’activité au sein d’un groupe folklorique ou d’un club de troisième âge leur a permis pour un temps de « reprendre du service ». Le chanteur a dû chanter devant le magnétophone, et le micro, même tenu par une main bienveillante, ne remplace pas l’auditoire.
3) Enfin, malgré la meilleure volonté, on ne violone plus à 80 ans comme à 40, surtout après 40 ans d’interruption ; l’âge, la santé, les pertes de mémoire ne permettent plus la même qualité d’exécution.
Le contexte des enquêtes ayant été ainsi précisé, quels en sont les enseignements ?
Pour ce qui est de la tradition instrumentale, la pratique du violon tient sans conteste une place majeure dans les années 1870-1920. On peut même dire qu’il y a eu en milieu populaire une véritable vogue du violon et que chacun s’y essayait.
Quant au style des violoneux, sa principale caractéristique est sans doute d’avoir été fortement personnalisé. Chacun n’était représentatif que de lui-même après avoir, au cours des années, « construit » son propre jeu, étant conscient de cet état de fait et capable de le distinguer et d’apprécier les « tournures » données par ses collègues aux mêmes mélodies.
Cependant, tous étaient très attentifs à la fonction qu’ils devaient remplir ; en l’occurrence, faire danser. D’où la part faite à la qualité du rythme à travers ce que l’on appelle « le coup d’archet », donnée essentielle du jeu traditionnel.
Nous qui sommes maintenant habitués à la sonorisation et à l’amplification des orchestres, il faut imaginer ce que devait être le travail (car il s’agissait bien de cela) d’un violoneux, seul à jouer, sans micro, dans une grange ou une salle de bal, pendant quatre ou cinq heures, pour comprendre que son souci n’était pas de jouer les esthètes et que les circonstances même du jeu en conditionnaient le style (course de l’archet rapide sur toute la longueur de la mèche, emploi des doubles cordes en accords – parfois dissonants – « coups de doigts »… ). Il s’agissait de se faire entendre.
Il faut aussi tenir compte de l’activité principale des musiciens : il est évident qu’un cultivateur ou un maçon ne peut pas jouer avec les mêmes mains qu’un tailleur, un coiffeur… ou un violoniste.
Mais il faut se garder de généraliser : la pratique individuelle, son aspect informel et non organisé (le fait d’être musicien routinier ne correspondait pas à un statut professionnel), la tradition orale pour l’apprentissage et pour l’interprétation permettait toutes les fantaisies et les innovations dans le cadre du but poursuivi.
De là sans doute, la diversité des styles et des influences et la richesse de cette musique non écrite. Les musiciens traditionnels – contrairement à ce que nous faisons trop souvent – avaient d’autres soucis en tête que de coller à leur jeu des étiquettes et de les ranger dans les tiroirs de l’ethnographie.
Les autres instrumentistes que nous avons rencontrés (joueurs d’accordéon diatonique, cornets à piston, clarinette) « fonctionnaient », tenant compte des possibilités de l’instrument utilisé, selon les mêmes schémas.
D’une manière générale, le répertoire recueilli est fortement marqué par la tradition urbaine des années 1850-1900 (mazurkas, polkas, valses, quadrilles) à travers laquelle on trouve parfois recyclées des formes plus anciennes de la danse (bals, danses rondes). Seules, les marches de noces nous semblent vraiment nées avec l’institution elle-même. Le fait qu’elles n’aient pas été dansées leur a permis de survivre.
Avec l’influence grandissante de la musique urbaine, accentuée par l’amélioration des moyens de communication, les musiciens routiniers ont disparu en même temps que leur fonction sociale.
La tradition du chant populaire est sans doute beaucoup plus diffuse et plus complexe à saisir. Elle a survécu d’une façon différente.
En ce qui nous concerne, sur une centaine d’interprètes rencontrés, seulement deux ou trois nous ont semblé se situer dans la grande tradition du chant populaire (1). Chez la plupart des chanteurs ou chanteuses se mêlent le plus souvent des apports les plus divers.
Certains, présentés dans ce disque, de part l’étendue de leur répertoire (M. Renault) ou la qualité de l’interprétation (Ernest Remblier) restent, selon nous, assez proche de ce que devait être traditionnellement un chanteur ou une chanteuse dans notre région.
Reste à considérer la qualité technique des documents fournis. Là encore, elle n’est pas homogène. La collecte qui s’étale sur une quinzaine d’années, a été effectuée à une époque où l’on ne songeait pas à son actuelle utilisation. Il est même arrivé que certains informateurs, conscients de l’intérêt de leur savoir, se soient enregistrés eux-mêmes. Mais ces documents quelquefois établis dans de mauvaises conditions sont maintenant devenus irremplaçables.
C’est en tenant compte de ces réalités que nous avons collectivement envisagé la publication de ce disque.
(A. R.)
(1) Nous citons pour exemple les propos de Marguerite et Raoul d’Harcourt dans « Chansons folkloriques françaises au Canada », P.U.F. Paris 1956.
« Ne disons pas avec Patrice Coirault que la chanson populaire est morte en France, mais que son rôle dans la vie paysanne et citadine est presque éteint, bien qu’elle vive encore au fond de la mémoire des vieilles gens, la chanson traditionnelle a perdu, chez nous, comme ailleurs, sa fonction sociale… ».
A propos des chanteurs :
François Saint-Laurent, a enregistré à lui seul 200 chansons. Il en savait bien d’autres. Son cas n’est pas unique, et les interprètes de qualité qui possédaient en mémoire 300 chansons et plus ne se considéraient pas comme des exceptions… chanteurs et conteurs avaient donc un répertoire bien fixé dans leur tête et qui, pour le chant, ne variait guère d’une audition à l’autre que par des détails portant surtout sur le mouvement et le rythme, suivant l’humeur et le degré de fatigue de l’interprète… Un François Saint-Laurent, par exemple, dans son immense répertoire savait trouver l’interprétation simple et juste qui convenait à chaque chanson. C’est avec délice qu’il plaçait ses fioritures, savait les modérer ou au contraire les accroître. »
Les chanteurs (pages 11 et 12)
Monsieur LAROCHE, 82 ans, cultivateur retraité, chant.
Monsieur Laroche est né en 1892 et a toujours vécu à la Grimaudière. Cultivateur maintenant en retraite, il représentait bien ce que l’on peut appeler le « chanteur de noce ». Très connu dans sa région, il était invité pour chanter.
Rencontré par Les Gens de Cherves en 1973, il a très vite compris quel était le but de leur action, et les a aidés dans leurs recherches. « Quand le meunier s’en va au marché », est un rondeau avec changement de sens recyclé ici, en chant de repas de noce. L’aspect narratif est renforcé par la récitation des premières phrases de chaque couplet, avant leur interprétation musicale. L’auditoire, pour le chanteur, tient un rôle majeur.
Monsieur Laroche avait entendu cet air tout enfant, chanté par les jeunes de son village, pendant le carême. En effet, comme il n’y avait pas de bal pendant le carême, la jeunesse se retrouvait sur la place et y dansait des rondes. (G. de C.)
Gaston PERAULT, flûte, piccolo.
(Enregistrement 1964)
Gaston Perault est né le 12 juin 1894 à Saint-Just mais il a vécu dès ses premières années dans le département de la Vienne.
Avant la guerre de 1914-18, il faisait habituellement danser avec sa seule « petite flûte » la jeunesse de Jazeneuil et des environs de Lusignan. Il a joué également à la « Lyre Mélusine » vers les années 1920.
Installé dans la maison héritée de son père à la Duboise en 1928, il réveillait les soirs d’été les échos de la vallée de la Vonne avec ses valses, scottishs et mazurkas. De l’autre côté de la vallée à Celle-Vezay, un de ses amis lui répondait au cor de chasse.
(R.P.)
Madame CHERPY, 75 ans.
Madame Cherpy a vécu toute son enfance à St-Jouin-de-Marnes. Elle a toujours été attirée par les airs traditionnels qu’elle entendait chanter par les anciens du pays. Cette épicière qui était, en raison de son métier, en contact direct avec la population locale a pu, grâce à sa mémoire et à son plaisir de chanter, participer avant l’heure au sauvetage de la tradition orale. Action qu’elle continue à mener dans sa région.
« Sur le pont de Nantes » est une ronde avec changement de sens. Madame Cherpy l’a apprise à St-Jouin-de-Marnes.
« Nous étions trois filles » vient de sa grand’mère qui la lui chantait
(G. de C.)
MADAME BONNET, 68 ans, chant.
Madame Bonnet a vécu son enfance à Amailloux puis à-Gourgé. Ses parents étaient fermiers et elle a dû se « gager » très tôt chez d’autres cultivateurs pour gagner sa vie. A son mariage, elle est venue s’installer dans le village de Buzay sur la commune de Thénezay. C’est là que nous l’avons rencontrée.
« Sortez Mesdames de vos maison » est une marche de noce chantée, apprise dans sa jeunesse dans les fermes auprès des vieilles servantes.
(G. d C.)
Florentin BLANCHARD, 78 ans, cultivateur retraité, à Pouzioux, accordéon diatonique.
(Enregistrement Mai 1976)
Florentin Blanchard a commencé à jouer de l’accordéon diatonique pendant la guerre de 1914-18 alors qu’il avait une quinzaine d’années. C’est son voisin, à l’époque, Albéric Fillaud, des « Granges » de Chauvigny, qui n’étant pas parti à la guerre, lui a enseigné les premiers rudiments et lui a fait acheter son premier accordéon : un « François Dedenis ». C’est de lui aussi, et de Louis Quenet, le violoneux de Salles-en-Toulon, qu’il tient la partie ancienne de son répertoire (dont « la marche » et le « pas d’été » présentés sur ce disque). Il s’est ensuite beaucoup intéressé aux mélodies vendues à l’époque sur les champs de foire (javas, fox-trot, valses…) qui constituent aujourd’hui, l’essentiel de ce qu’il aime jouer (80 mélodies environ).
Florentin a bien connu ses prédécesseurs, tels Louis Quenet, déjà cité, le plus habile, au dire de ceux qui l’ont entendu, mais aussi Henri Lamy de Leignes-sur-Fontaine qui louait deux « parquets », « c’était un bon aussi celui-là » nous a dit Florentin. Il y avait encore le célèbre Touchard dit « Nintin » violoneux à Civaux, Porcheron de Leignes dit « Bois-l’iou » et Delphin Couvrat di « Beilliton » vielleux à Chapelle-Viviers, et beaucoup d’autres…
Florentin a animé son premier bal à 15 ans, un bal « clandestin », dans une grange à « l’âne vert » de Pouzioux. Il a « fait », les noces de de 1918 à 1928 mais il préférait les assemblées de village : celles de Pouzioux le dimanche précédant le 15 Août, de Fleix le dimanche suivant ; celles de l’Espinasse le jour du lundi de Pâques, de Leignes le premier dimanche de Mai et à la « louée » de la Saint-Martin…
Lui aussi a dû mettre un terme à ses activités, vers les années 30, faute d’auditoire.
Puis, il y a eut la reprise en 1967, le jour où un jeune instituteur, René Barc vint le contacter avec les jeunes du foyer de Croutelle (1) dont il était l’animateur. Citons aussi l’équipe des « Chantegrioux » (2) de Chauvigny dont Florentin est devenu le musicien habituel.
(A. R.)
(1) Cet exemple illustre bien le mouvement revivaliste qui a pris naissance en Poitou dans les années 1964-65, grâce à !’action déterminante de I’U.P.C.P.(Union Poitou-Charentes pour la Culture Populaire). Ainsi, plus de quarante associations ont pris en charge le sauvetage du savoir oral sur cinq départements (Deux-Sèvres, Charente, Charente-Maritime, Vendée, Vienne). On peut considérer qu’à ce jour, plus de 40.000 phonogrammes ont pu être réalisés. Un certain nombre d’ouvrages et de disques ont été publiés. Le catalogue est disponible à l’U.P.C.P. Pamproux (79).
(2) Les Chantegrioux (membres de I’U.P.C.P.) ont publié en 1976, un 45 tours « Danses des pays chauvignois », où Florentin Blanchard interprète un quadrille à six figures. On peut se procurer ce disque en écrivant à M.J.C. 86300 Chauvigny.
Madame Alice PRIEUR.
Née en 1905 à Mornay, hameau de la commune de Mazeuil, elle y a passé toute sa vie. Elle vivait dans une famille que l’on qualifiait autrefois de « Chanteurs ». Ses parents, ses tantes étaient renommés pour leurs qualités de chanteurs. Madame Prieur prit donc la relève, et malgré sa vie difficile de paysanne ne manquait jamais une noce où elle était demandée.
« Pleurez point tant la belle », est l’exemple typique de ces complaintes que le public écoutait la larme à l’œil en souvenir des morts de leur village.
(G. de C.)
Julien FAITY, 71 ans, violoneux à Lusignan.
(Enregistrement Mai 1978)
Julien Faity a passé sa jeunesse dans l’exploitation agricole, à la Gorginière de Lusignan. C’est là qu’il a pris ses premières leçons de violon avec son oncle, lui-même routinier. « J’ai commencé, dit-il, par : “J’ai du bon tabac” ». Puis il se mit à fréquenter toutes les « ballades » de la contrée « afin d’apprendre les airs, que j’essayais sitôt rentré à la maison ».
Julien Faity ne fut pas véritablement un musicien de bal. Cependant, il jouait souvent avec eux, remplaçant le violoneux « quand celui-ci voulait danser à son tour ». Souvent, le dimanche après-midi, à la belle saison, ou encore aux veillées, on venait le chercher pour faire danser.
Si par la suite, il cessa cette activité, il n’en continua pas moins à se perfectionner, car le violon était sa passion.
(J. D.)
L’art de la fioriture et de l’ornementation de son jeu, n’est pas sans rappeler singulièrement celui du célèbre Émile Nafrechoux dit « Bat’afre » de la région de Sauzé-Vaussais, décédé en 1972 (voir archives sonores de l’U.P.C.P. à Pamproux).
Pierre REMBLIER, 69 ans, cultivateur retraité, à Queaux, violon.
Pierre Remblier était essentiellement un musicien de bals et de noces. Il a joué dès l’âge de quinze ans (1920) avec les violoneux de l’ancienne génération : Courivault d’Availles-Limouzine (accordéon), Jubaut de Moussac (violon), Touchard dit « Nintin » de Queaux (violon), Gaultier de Queaux (violon), chez lequel il était « en place ». Son long séjour en captivité lui a fait côtoyer d’autres musiciens et d’autres musiques et son répertoire s’est naturellement transformé. Il a cependant retenu de ses « vieilles terres », quelques belles mélodies dont ces « pas de mariée » ou marches nuptiales présentés dans ce disque.
(A. R.)
Ernest REMBLIER, 72 ans, ouvrier journalier à Queaux, chant, accordéon diatonique.
(Enregistrement Mars 1976)
Ernest Remblier tient principalement ses chansons de ses deux grand-mères : Madame Dion de Bouresse et Marie Ramblier des « Brandes », de Queaux. Jean, son père, jouait de l’accordéon diatonique et ses trois frères Pierre, Auguste et Henri, du violon. Il ne lui a donc pas fallu aller bien loin pour composer son répertoire.
Le caractère familial de la transmission du savoir oral était une donnée quasi constante dans l’ancienne tradition populaire : nous en avons ici une belle illustration.
(A. R.)
Hubert RENAULT, 71 ans, garde-chasse retraité, chant.
(Enregistrement hiver 1972-1973)
Le « Père Renault », Sylvain, prénom qu’il changea par lui-même en Hubert, son deuxième prénom, peut-être par déférence au saint patron des chasseurs, naquit aux confins de la Brenne et du Poitou à Vendœuvre-en-Brenne, le 5 Mars 1901. Ce fils de métayer, né dans une région très pauvre de l’Indre, n’eut pas la vie facile…
C’est au contact de Jean, son père, qu’il façonne et entretient son répertoire, car Jean est chanteur et vielleux, et « joue les noces » des alentours. Ses plus anciennes chansons (chansons de bergères), il les tient toutes de sa grand’mère paternelle…
En 1920, Vendœuvre-en-Brenne comptait alors 2300 habitants et 300 ouvriers allaient au bois toute l’année (il y avait 5 fours à chaux), pour un sou le fagot. Hubert à 20 ans, travaille avec son frère Louis au bois ou dans les fermes où ils se gageaient. Hubert se marie en 1930, et aura six enfants…
En 1932, il devint garde-chasse privé à Aigues-Vives près de Ceré-la-Ronde dans l’Indre-et-Loire. Il y demeura dix ans.
La chasse, c’est une inépuisable mine de souvenirs que faisait renaître le « Père Renault » car c’était aussi un conteur de talent ; son répertoire de contes, tenus de son père, fit passer de longues veillées à son auditoire (Conte de la bête à sept têtes, conte du loup, la chèvre et le curé…).
La chasse, c’est aussi les chants qui permettent de se rappeler les sonneries de trompes.
En 1942, Hubert Renault et sa famille s’installent à SaintPierre-de-Maillé, où il va s’occuper de la chasse du Comte de Pierdon, au château de la Boutinière, jusqu’en 1952. Date à laquelle il afferme une exploitation au Village du Bois, près de la Danjoterie jusqu’en 1968 où il prend sa retraite.
Lorsque nous l’avons sollicité en 1974, le Père Renault avait 73 ans et avait oublié beaucoup de chansons d’un répertoire qu’il n’entretenait plus aussi souvent qu’aux veillées, aux réunions ou à la buvette des bals d’autrefois. Il se mit à l’ouvrage patiemment, notant la nuit, sur un carnet, les vieilles chansons qui lui revenaient en mémoire. Il fit si bien, qu’il nous légua plus de cent chansons dont beaucoup très anciennes issues du répertoire traditionnel.
A celle époque, le « Père Renault » coulait une retraite paisible…
Il aimait la nature, les chansons, les danses, la bourrée qu’il pratiquait avec verdeur, et les objets familiers de ses aïeux. Il sauva ainsi le four de son hameau, promu à la ruine, qu’il fit consolider et qui reste un témoignage du temps passé au hameau du Côteau à Saint-Pierre-de-Maillé. Il continua tout seul sa quête dans ses souvenirs et il enregistra lui-même ses chansons, laissant à sa femme, ses enfants et à la postérité de merveilleux souvenirs. Les chansons de ce disque sont issues, d’ailleurs, de ses propres cassettes.
Il mourut le 8 octobre 1978.
(R. B.)
Pierre ROUCHÉ, 79 ans, cultivateur à Vergné près de Civray, violon.
(Enregistrement novembre 1976)
Pierre Rouché a débuté au violon en 1910 avec un vieil oncle, ouvrier agricole à Charroux. La guerre de 1914-18 interrompit sa pratique, mais pour un temps seulement puisque Pierre Rouché situe sa période de pleine activité (environ 2 bals ou noces à la semaine) vers les années 1925. Il jouait régulièrement « sous les parquets » Couturier de Charroux. Il a bien connu les frères Alfred et Maximin Pineau de St-Pierred’Exideuil (violon et clarinette) et aussi Émile Nafrechou dit « Bat’afre » pour avoir joué avec lui « un jour de St Barnabé en 1923 ». Il a d’ailleurs retenu de ce dernier « la mauvaise habitude qu’il avait d’inventer les airs tout en les jouant ».
Monsieur Rouché nous a restitué un beau répertoire d’airs en vogue avant 1914, entre autres, les quatre mélodies présentées sur ce disque.
(A. R.)
LES RONDES
L’association « Les Gens de Cherves », membre de l’Union Poitou-Charentes pour la Culture Populaire n’a pas cessé, depuis 10 ans, d’effectuer le sauvetage de la culture orale paysanne. Sa zone de collectage s’étend sur tout le nord du département de la Vienne et le nord-est des Deux-Sèvres.
Elle s’est bien sûr intéressée au cours de ses recherches à la musique populaire. Celle-ci s’est présentée sous plusieurs aspects :
- Chansons, complaintes, airs de travail, cris, comptines, berceuses, gavottes…
- La musique de danse qui faisait intervenir le musicien traditionnel et, une forme intermédiaire : la ronde.
Des chants ou des danses, aux pas très précis, propres à un village ou une contrée en particulier, peuvent ailleurs devenir de simples rondes. Ces dernières se présentent sous la forme d’une chaîne fermée, les danseurs se tiennent par la main ; l’air est toujours accompagné de paroles et peut se passer de musiciens ; un des thèmes musicaux se danse toujours avec un déplacement latéral. Les personnes que nous avons interrogées ne considèrent pas la ronde comme une danse. Elle pouvait naître à tout moment et n’importe où, durait longtemps et sa pratique était spontanée.
Ainsi quelques mille rondes ont pu être recueillies auprès des personnes âgées de cette région. Elles peuvent n’avoir qu’un seul thème musical et dansé mais aussi jusqu’à six figures différentes. Les plus courantes étant celles constituées de deux thèmes musicaux correspondant à deux pas différents. On trouve aussi en grand nombre les rondes-jeux dans lesquelles un ou plusieurs danseurs miment les paroles. Enfin des rondes avec changement de direction ou avec des pas spéciaux comme le pas de gigue ou encore le bal.
(G. de C.)
A PROPOS DES INSTRUMENTS UTILISÉS
Il faut, selon nous, considérer deux époques : celle qui concerne la transmission orale et que l’on peut faire remonter grossièrement au dernier tiers du 19e siècle et celle pour laquelle il faut se référer aux textes d’archives et aux données de l’organologie. Dans les deux cas, toutefois, nous ne croyons pas qu’il y ait eu d’instruments spécifiquement populaires ou traditionnels (c’est-à-dire exclusivement réservés à l’ancienne société rurale, mis à part peut-être les objets para-musicaux : sonnailles, percussions, sifflets, flûtes à six trous en paille d’avoine). Rien, en effet, ne différencie le violon du violoneux de celui du violoniste si ce n’est la façon de s’en servir et le contexte social dans lequel il est utilisé.
Toutes les époques et toutes les régions ont été traversées par des influences diverses : apports urbains et militaires de répertoires correspondants à des instruments nouveaux ou plus sophistiqués, évolution de techniques de fabrication, nouvelles demandes de l’auditoire quant à la pratique de la danse… Toutes ces influences ont directement ou indirectement déterminé le choix des instruments appropriés avec des fixations temporaires suivant les époques et les régions (vielles en Berry Bourbonnais, chabrettes en Limousin, accordéon diatonique entre les années 1920-1940 etc.). C’est ce qu’en a retenu la mémoire collective qui nous concerne aujourd’hui. La plupart du temps, les instruments de musique n’ont été « folkloriques » qu’à travers l’image donnée par les groupes du même nom.
Pour la période 1870-1910, il semblerait que l’utilisation du violon ait tenu dans notre région une place majeure : l’examen des archives d’un photographe professionnel Arnaud-Gentil, à La Poirière, Salle-en-Toulon, nous a permis de comparer une centaine de photos de groupe de noce toutes antérieures à 1910 : nous n’y avons vu que des violoneux pour la région allant de Chauvigny à Lussac-les-Châteaux (25 km). Nous avons cependant rencontré sur l’ensemble du département quelques joueurs de clarinette (Leignes, Usson-du-Poitou, St-Martin-I’Ars), de cornet à piston (Vouneuil-sur-Vienne, Chenevelles) d’accordéon diatonique toujours présent après 1920, de vielle à roue (St-Pierre-de-Maillé, Vicq-sur-Gartempe, Pleumartin, Montmorillon, Leignes-sur-Fontaines, La-Chapelle-Viviers, Brigeuille-Chantre, St-Martin-I’Ars). Pour ce qui est de la vielle, il faut remarquer sa concentration évidente sur la frange berrichonne et limousine du Haut-Poitou. Tous ces musiciens appartenaient, il est vrai, à la dernière génération 1900-1940.
Il arrivait quelquefois que les instruments aient été fabriqués par l’utilisateur lui-même (violons-sabot de Gaston Degueule et de Girault dit « Girusse » de Civaux). Delphin Couvrat, puisatier, n’avait-il pas sculpté sa première vielle avec son couteau « douelles après douelles » assis sur la margelle des puits, en attendant son compagnon descendu au fond du trou ! A part ces exemples marginaux, il n’y a pas eu à proprement parler une tradition de lutherie populaire dans notre région.
En ce qui concerne les périodes antérieures (XVIIe et XVIIIe siècles) nous pensons d’abord aux fameux hautbois et cornemuses du Poitou décrits par Marin Mersenne dans « l’Harmonie Universelle », (1) au XVIIe siècle dont l’utilisation est attestée dans plusieurs ouvrages (2) et (3). Il n’y a évidemment plus aucune trace de ces instruments dans la tradition orale et seulement deux d’entre eux ont été retrouvés à Verruyes dont l’un fabriqué « Chez Dubois à Chartres ». Rien ne prouve cependant qu’ils aient été utilisés dans la tradition locale, c’est dire la fragilité des données et la prudence avec laquelle il faut évoquer les « Hautbois du Poitou ». Signalons plus loin de nous encore, des figurations de cornemuses et hautbois au château de Dissay (XVIe) à la chapelle funéraire de l’église d’Antigny et de Jouhet (XVe), un renard joueur de vielle à archet dans la petite chapelle de Pain-Coureaud (XVe) (près de St-Savin) et enfin parmi les anges musiciens, un joueur d’organistrum (vielle à roue) sur le tympan de l’église romane de Civray. Mais peut-on encore parler de musique populaire ?
(A .R.)
1) « II faut remarquer qu’il y a deux sortes de hautbois en usage en France, à savoir ceux du Poitou dont ie donneray la figure dans la trente deuxième proposition, et ceux que j’appelle simplement Haut-bois dont la figure est quasi semblable aux grande flûtes douces, ou d’Angleterre… »
Marin Mersenne « Harmonie Universelle » « Des instruments à vent » Proposition XXXI p. 295
2) Les textes les plus connus sont, sans doute les écrits de Philippe de Commynes (vers 1447-1511), Sénéchal de Poitou, contemporain et confident de Louis XI. Ces textes ont été rapportés dans les manuscrits de Robert du Dorat. « Des joueurs d’Hautbois et dances du Limousin de la basse Marche et du Poitou » on peut lire : « c’est une chose étrange et admirable de voir combien ce pays de limousin et particulièrement cette comté de la basse Marche est adonnée aux joueurs d’hautbois et cornemuses et aux danses ; n’y ayant guère bonnes maison et village non seulement dedans le Limousin, la basse Marche et le Poitou et le Poitou qu’il n’y ait quelqu’un de la maison ou du village qui ne sache jouer de la musette ou cornemuse ou du hautbois et bien que ce soit des laboureurs et pauvres paisants qui n’ont jamais rien sçu ni appris aucune chose de la musique, qui ne sçavent lire et écrire, néantmoins jouent sur leur dits hautbois et cornemuses toutes sortes de branles tant nouveaux qu’anciens, sans tablature ni autre inventions humaine qu’on leur puisse dire et les mettre sur les quatre parties… ».
Les écrits de Mersenne, un siècle plus tard corroborent singulièrement ces données : on y trouve en effet, une description des quatre parties : Basse, Taille, Dessus et cornemuse. D’autre part, la filiation directe entre les chabrettes du Limousin fabriquées au XVIIIe et XIXe siècles et les hautbois du Poitou selon Mersenne nous semble solidement établie. (Lire à ce sujet, les excellents articles de P. Boulanger et Eric Montbel revue Ethnologia n° 10 été 1979, S.E.L.M. Limoges)
3) 13 Mai 1619 : Aveu rendu au baron de Gençay par le roi de la communauté des Bacheliers « premièrement tiens de vous mondit seigneur sous le dit hommage le pouvoir de faire une assemblée desdits bacheliers… avec cornemuses et hautbois le jour de la pentecôte… »
Manuscrit de Don Fonteneau
15 Avril 1647 : Aveu rendu au baron de Gençay : « à foi et hommage de delvoir de troys chapeaux de trois couleurs de fleurs portables et rendables à votre château dudit Gençay… avecq joueurs de cornemuse et hautbois, le tout à la manière accoutumée ».
Minutes anciennes de I’Étude du notaire de Gençay
30 Mars 1698 : René Coullard de Puyrenard, seigneur de Gençay disait tenir son pré vulgairement appelé « le pré aux Reines »… dans lequel susdit pré le roi des bacheliers de Gençay, la reine et les bacheliers et bachelières du dit lieu ont le pouvoir par chaque lundi de pentecôte, d’aller danser dans tous les cantons d’icelui et de retourner par trois fois avec cornemuse, hautbois et chansons.
Papiers de la famille Coullard de Puyrenard dans les archives de la famille Cirotteau à Gençay
Ces références sont contenues dans le livre « Gençay, son château, son histoire » Abbé Gauffreteau.
On peut constater à travers ces trois textes, l’étonnante vitalité des hautbois et cornemuses tout au long du 17e siècle dans un même lieu.
Enfin au sujet des « finesses de Croutelle » objets délicats tournés dans le buis traditionnellement à Croutelle, on peut lire dans l’œuvre de Jacques et Paul Constant, apothicaires à Poitiers. Poitiers 1628 :
« On fabriquait entre autre cornets à bouquin, hautbois, cornemuses, flageolets, flûtes, dont l’excellent bois de buis utilisé rend l’harmonie et le son plus mélodieux ».
Ces ateliers de Croutelle ont sans doute connu leur apogée fin 15e siècle pour disparaître à la fin du 17e siècle, après la révocation de l’Édit de Nantes.